Chapitre 4
faits historiques
état politique
affranchissement
fidélité
caractère et moeurs
éducation
territoire, production, climat
industrie, commerce
propriétés communales
antiquités et monuments
personnages remarquables
 sommaire 
- Faits historiques généraux
Les Tricasses dont faisaient partie les habitants des pays que nous occupons se sont rendus célèbres dès avant J.-C. par leurs expéditions
guerrières et lointaines. Ce sont eux, d'après Justin, qui unis aux Sinonais donnèrent une si haute idée du nom gaulois et leur soumirent
une partie de la Germanie et de l'Asie mineure de l'Italie et Rome. Ils eurent part à toutes les conquêtes des Sinonais qui sous
la conduite de Bellevèse, passèrent en Italie où ils bâtirent les villes de Senogalhia et de Tréca qui subsistent encore aujourd'hui et
dont les noms font assez connaître l'origine.
Vers le milieu du 4ème siècle les allemands se jetèrent dans les Gaules conduits par les deux frères Gondomarre et Vadomare se furent
ces peuples qui vinrent en foule grossir l'armée de César Julien connu depuis sous le nom d'apostat, l'aidèrent à faire lever le siège
d'Autun et à poursuivre ces Barbares au-delà du Rhin. Toujours inviolablement soumis aux Romains depuis la conquête des Gaules par Jules
César, ils furent constamment les premiers à s'opposer aux divers peuples de la Germanie, qui comme un torrent impétieux se ruaient de
toutes parts sur les Gaules; tandis que les Romains affaiblis par les guerres civiles n'étaient plus guère en état de les défendre. En
406, les Quades, les Vendates et les Bourguignons éprouvèrent leur valeur et s'en vengèrent en ruinant entièrement le pays. Ce qui fut
le prélude de ce qu'il essuya en 451 lorsque le terrible Attila après avoir saccagé Reims et marchant vers Orléans vint camper à Pont-sur-Seine
et lâcha ses Huns féroces dans tous les environs où on ne rencontra bientôt plus que des ruines.
Après la défaite de Siagrius auprès de Soissons en 486 Clovis vainqueur se rendit bientôt maître de toutes les villes de la campagne qui
avaient tenu jusque là pour les romains et qui après avoir été 500 ans sous leur domination, commencèrent alors à faire partie de l'Empire
Français.
En 558, Clothaire fils de Clovis, servi par la mort de ses frères, maître de tout le royaume, mais à sa mort la monarchie ayant été de
nouveau partagée entre ses quatre fils, la division ne tarda pas à se mettre parmi eux. Chilpéric, Roi de Soissons, entra avec une puissante
armée dans l'Austrasie dont Sigebert était le roi et vint camper dans les plaines que bordent la Seine et l'Aube au nord pendant que
Sigebert l'attendait à Arcis. Mais après quelques conférences ils se racommodèrent et cette fois il n'y eut point de sang français de
répandu.
Il n'en fut point de même en 841 lorsque l'empereur Lothaire, fils de Louis le Débonnaire vint attaquer ses frères, Charles roi de France et
Louis de Bavière pour les forcer à un nouveau partage. Tout le monde connaît la fameuse bataille qui se livra à Fontenoy aujourd'hui
Chablis où plus de 100 000 français périrent, et, où presque toute la noblesse de Champagne fut détruite.
Bientôt un autre fléau fondit sur la Champagne en 882 et 892 les normands ravagèrent tout le pays entre Reims et Troyes ; ces peuples
barbares aussi féroces qu'avides de pillage mirent partout le feu et ne laissèrent après eux que des monceaux de cendres obligeant les
malheureux habitants à abandonner leurs foyers et à chercher dans les bois une retraite assurée.
Plus tard en 1359, la Champagne vit encore se renouveler ces mêmes ravages. Pendant la captivité du Roi Jean fait prisonnier à la bataille
de Poitiers, des parties ennemies portaient la désolation dans tout le royaume. Une de ces bandes ayant à sa tête un capitaine anglais
nommé Robert Canolles ou Knolles passa du Vermandois en Champagne saccageant, brûlant tout, emmenant les hommes et les bestiaux jusqu'à
ce qu'elle fut entièrement exterminée par Henri de Poitiers, Evêque de Troyes, qui l'année suivante, tailla encore en pièces une autre
troupe d'Anglais près de Nogent-sur-Seine et fit prisonnier son Commandant Eustache d'Auberticourt qui avait de nouveau ravagé toutes
ces contrées.
Ces défaites ne découragèrent point ces perpétuels ennemis de la France. En l'an 1365, diverses compagnies connues sous le nom de Tards
venus, ou de malandrins exercèrent leur brigandages dans ces pays si souvent désolés et n'y mirent un terme que quand le Connétable
Duguesclin les eut dissipés deux ans plus tard.
Pendant tout le règne de l'infortuné Charles VI, cette partie de la Champagne eut continuellement à souffrir de l'ambition et de la
fureur de ces insatiables insulaires qui avaient fait de la ville de Troyes le centre de leurs opérations. Ravagée tour à tour par les
anglais et par les français, elle voyait chaque année ses villages incendiés, les habitants massacrées, les campagnes dévastées, les
grains coupés en herbe, tout cela pour satisfaire la passion d'une femme, d'une reine de France, de l'infâme Isabeau ou Isabelle de
Bavière, qui n'eut pas honte de faire déshériter son fils, de faire déclarer héritier du trône de France Henri d'Angleterre, le fléau de
toutes nos provinces, qui n'eut pas honte enfin de lui donner en mariage Catherine de France, fille de Charles VI. La cérémonie fatale
eut lieu à Troyes, le 2 juin 1420 et eut pour complice Henri de Savoisy, Archevêque de Sens. Il a été parlé au chapitre I des dégâts que
Barbonne en particulier éprouva pendant ces guerres désastreuses qui mirent la France à deux doigts de sa perte et auxquelles purent
mettre fin la valeur de Charles VII et les exploits de Jeanne d'Arc, les années suivantes. Cependant les anglais n'abandonnèrent pas le
terrain sans le disputer pied à pied ; en 1440 ils tenaient encore plusieurs places et forteresses en Champagne. Barbazzan qui en avait
été nommé par le roi, Lieutenant général, assiégea et prit Planey, Montaimé et Anglure dont la garnison anglaise et bourguignonne fit
sauter en se retirant, toutes les fortifications.
Ce fut là leur dernier exploit dans ces contrées.
En 1468, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne se voyant maître de la personne du Roi Louis XI qu'il retenait prisonnier à Péronne
demanda à ce prince, les Comtes de Champagne et de Brie pour le duc de Berry oncle du Roi Louis qui voyait sa vie en danger se rendit à
tout ce qu'on désirait de lui, se réservant toutefois de ne point tenir des promesse qui lui étaient extorquées ?
Au lieu de la Champagne et de la Brie, trop voisine de la Bourgogne, il lui donna la Guyenne. Ainsi la Champagne n'eut point de Comte
particulier et jamais depuis aucun prince ne porta ce titre.
Pendant les troubles affreux qui occasionnaient à Troyes en 1550 et pendant les années suivantes, les hérésies de Luther et de Calvin et
l'apostasie de l'Evêque Caraccial, nous ne voyons pas que nos contrées aient pris part aux massacres qui pendant si longtemps inondèrent
le Diocèse de Troyes du sang des catholiques et des huguenots, ni que l'erreur y ait fait beaucoup de progrès, excepté au village de
Lanoue où les calvinistes établirent un Prêche ; seulement elles eurent beaucoup à souffrir de l'armée du Prince de Condé et de l'amiral
de Coligny , surtout Pont-sur-Seine, Barbonne et Sézanne.
Enfin la paix ayant été conclue à St Germain-en-Laye en 1570 et les protestants ayant obtenus les conditions les plus avantageuses, on
leur permit l'exercice de leur religion dans un seul endroit de chaque gouvernement ; les faubourgs de Villenauxe furent désignés pour
la Champagne et la Brie.
Lors de la formation de cette funeste association contre les protestants qu'on appela la ligue et que signa le roi Henri III en s'en
déclarant le chef en 1577.
Les environs de Sézanne furent encore désolés par le marquis de Chevalle qui avait amené douze compagnies de gens de pied au Duc d'Alençon
pour l'aider à la conquête des Pays-bas. Troyes surtout dont les portes les lui avaient été fermées et dont les habitants avaient pris
les armes, fut forcée par ces furieux qui massacrèrent tout ce qui tomba sous leurs mains et mirent le feu aux quatre coins du bourg.
- Etat politique de Barbonne
Barbonne faisant partie de la Brie Champenoise, appartint aux Comtes de Champagne et de Brie ainsi que Chantemerle dans la chatellenie
duquel il était situé jusqu'en l'an 1289 où la province de Champagne fut réunie à la couronne par le mariage de Philippe IV dit Lebel
avec Jeanne, fille et unique héritière de Henri Legros, comte de Champagne et roi de Navarre, réunion qui fut déclarée irrévocable
par le roi Jean en 1361.
On voit dans le trésor des Chartres, article Champagne n°65 et 67 qu'en l'an 1199, Thibault III, Comte de Champagne ayant épousé
Blanche, fille de Dom Sanche le Sage, roi de Navarre avait constitué son domaine sur sept de ses chatellenies, Épernay, Vertus,
Sézanne, Barbonne et Chantemerle, Pont, Nogent et Méry.
En 1232, Thibault IV, fils et successeur du précédent accorda aussi en dotation de Noces, à Marguerite de Bourbon qu'il venait
d'épouser, le comté de Sézanne avec les Seigneuries de Chantemerle, Barbonne... Le contrat fut passé au mois de mars de la sus-dite
année par Robert, 62ème Évêque de Troyes.
Par une charte de 1230, la même, Thibault avait exempté les habitants de cette chatellenie de toutes tailles, en payant seulement un
droit de jurée de 6 deniers à la livre pour les meubles et de deux deniers à la livre pour les immeubles. On appelait droit de jurée,
le droit que les bourgeois jurés de Champagne payaient à leur seigneur féodal.
En 1581 Barbonne suivit la destinée de Sézanne qui, avec le village de Tréfols fut vendue au Duc d'Anjou, François de France, fils de
Henri II et de Catherine de Médicis, et frère des Rois Charles IX et Henri III. Après lui ses trois seigneuries passèrent entre les
mains des ducs d'Angoulême dont le dernier est nommé dans les notes de M. Ragon "Le Paracon des Princes de ce temps".
Depuis lors Barbonne a toujours fait partie du domaine royal et en 1783 jusqu'au moment de la révolution, M. de Cardousse en était le
seigneur engagiste c'est-à-dire en tenant le domaine au nom et sous l'autorité du Roi.
Pour la juridiction, Barbonne dépendait du baillage, de la maîtrise des eaux et forêts, de l'élection et du Grenier à sel de Sézanne ;
mais il y existait une justice particulière, soumise à celle de Chantemerle et une Prévoté royale qui s'étendait sur un assez grand
nombre de villages voisins et qui en fut supprimée que par le décret de l'Assemblée Nationale du 15 janvier 1790.
A cette époque, Sézanne étant devenue chef-lieu d'un district du département de la Marne, Barbonne fut établi chef-lieu d'un canton
qui comprenait les communes de :
Barbonne | Queudes |
Fayel | St Quentin le verger |
Fontaine-denis | Saudoy |
La Celle-sous-Chantemerle | Villeneuve Saint-Vistre |
Nuisy | Villevotte |
et une population d'un peu plus de 4 000 habitants.
Les arrondissements ayant remplacé les Districts par une loi du 28 pluviose an 8 (17 février 1800), Barbonne perdit son titre de
chef-lieu et ne fut plus qu'une simple commune du Canton de Sézanne. Des deux études de Notaires qui y avaient toujours existé, il
n'en reste plus qu'une seule aujourd'hui. En 1815, il y avait encore deux études d'huissiers dont une fut supprimée à cette époque
et l'autre transférée à Sézanne en 1839.
L'administration communale se compose du Conseil Municipal comprenant douze membres, parmi lesquels sont pris le maire et un adjoint.
Barbonne chef-lieu de résidence d'un percepteur est aussi le point clé réunion d'un bataillon de garde nationale ; il y a une demie-compagnie
de Sapeurs-pompiers avec deux pompes à incendie dont une a été acquise en 1845, deux compagnies de gardes-nationaux parmi lesquels,
à l'exception des officiers, personne n'est habillé ni équipé ; et une compagnie de musique composée de quinze musiciens.
- Affranchissement de Barbonne
"Pendant plusieurs siècles et avant le règne de Louis VI, dit legros, il n'y avait presque point d'hommes libres en France, tous
dans les villes aussi bien que dans les bourgs et dans les villages, ne formaient pour ainsi dire qu'un immense troupeau d'esclaves
assujettis aux caprices et aux volontés d'une feule de petits tyrans qui s'emparaient des biens et ne jouaient de la vie même du
pauvre peuple, reconnaissaient à peine et de nom seulement l'autorité du Roi et enfin n'étaient occupés le plus souvent qu'à se faire
la guerre, à piller les terres les uns des autres aux dépends de leurs vassaux. Toute la France n'était que comme un vaste de bataille
toujours couvert de sang et de ruines. Vers l'an 1128, le roi Louis VI touché des malheurs de son peuple opprimé, commença par établir
dans les villes des juges royaux, auxquels les bourgeois pouvaient avoir recours dans les cas de vexation par les seigneurs particuliers.
S'agissait-il d'affaires qui regardassent les masses des habitants, ceux-ci s'assemblaient sous la protection des tribunaux du roi
pour présenter en commun leurs plaintes et leurs requêtes, c'est ce qui fit donner à ces assemblées le noms de communes et ce qui en
fut la première origine. Depuis cette époque, les Rois de France trouvant dans ces communes un appui souvent nécessaire contre
l'esprit de rébellion de leurs grands vassaux ne cessèrent d'encourager l'affranchissement des communes ce qui se faisait moyennant
une redevance que chaque habitant payait à son seigneur." Note copiée textuellement sur un manuscrit qui est à la suite de la
Charte de 1318.
La charte qui porte l'affranchissement des villes de Barbonne et de Chantemerle, ainsi que les villes de Meaux et de Troyes, date de
1268, la 42ème année du règne de St-Louis. Elle payait pour cette concession une redevance annuelle de 170 tournois pour Barbonne,
Chantemerle et les villages qui dépendaient de la chatellenie. Il faut qu'alors le peuple de cette contrée fut bien pauvre pour que
50 ans après il fut présenté une requête au Roi Philippe le Long, pour le prier de retirer le droit de Commun à cause de l'impossibilité
où on était de payer la susdite redevance. Le Roi eut égard à la prière des suppliants, les déchargea de la redevance, en leur retirant
le droit de commune mais elle maintenait toutefois dans les libertés, coutumes, usages et franchises dont ils étaient en possession,
voulant qu'ils en jouissent, en sorte néanmoins qu'ils paieraient le droit de jurée comme les autres chatellenies de Champagne, qu'ils
seraient tenus à la guerre et au droit de chevage ; et que le roi de son côté, ainsi que ses héritiers les Comtes de Champagne ne laisseront
jamais passer en d'autres mains les dits habitants, Villes et lieux. Cette charte écrite en latin et déposée aux archives de la mairie
de Barbonne est datée de Château-Chinon au mois d'avril 1318.
- Fidélité des habitants de Barbonne
Barbonne paraît avoir été de tout temps fidèle aux comtes de Champagne et ensuite aux rois de France qui leur succédèrent dans les
droits sur cette province. On lit dans les mémoires qui nous restent qu'au commencement du règne de Louis XIII, et pendant la régence
de sa mère, Marie de Médicis, la plupart des seigneurs de la Cour ayant à leur tête le Duc de Bouillon, s'étant soulevés contre elle,
étaient parvenus à attirer dans leur parti plusieurs provinces de France. Ils avaient entre autres un assez grand nombre de partisans
et des places dans la Champagne. Pour soutenir son autorité, elle avait fait venir de la Suisse des troupes dont 300 ayant à leur tête
le Colonel Fignoli arrivèrent à Barbonne dans les premiers jours de mai 1614 et y restèrent jusqu'au milieu de juin lorsqu'on reçu la
nouvelle de la paix qui avait été conclue à Sainte-Menehould entre la reine et les princes et qui fut appelé depuis la Paix Malautru.
Un pareil nombre était logé dans la ville et les faubourgs de Sézanne. Ces troupes étaient chargées de conserver dans le devoir ces
villes qui ne s'étaient point déclarées pour les rebelles.
L'année suivante 1615, la division ayant éclatée de nouveau entre la reine et les princes mécontents, Barbonne eut beaucoup à souffrir
du passage des deux armées qui se suivaient de très près. Il est vrai qu'il ne s'y commit aucun dégât, mais le pays fut épuisé par
l'obligation où il était de fournir des vivres et des fourrages tant à l'armée royale qu'à celle des rebelles.
Ce fut le samedi 10 octobre qu'arrivèrent à Barbonne deux compagnies de gens d'armes au nombre d'environ 600 chevaux et qui formaient
l'avant-garde de l'armée du Roi. Le lundi suivant 12 octobre, quelques heures après le départ de cette avant-garde, on vit arriver le
corps d'armée composé de 8 000 hommes non compris les suisses et six pièces de canons.
Cette armée était commandée par Mgr le Maréchal de Bois-Dauphin ayant sous ses ordres Monsieur de Baasompière, Messire de Fleury, grand
maître des Dames, M. de Vitry et M. de Praslin qui passèrent la nuit à Barbonne et se dirigèrent le lendemain sur Sézanne. Ils étaient
suivis de l'arrière garde... Composée de trois régiments de pied, de plusieurs compagnies du Piémont formant en tout 4 à 5 000 hommes.
Cette armée témoigna toutes sortes d'égards envers les habitants qui de leur côté s'empressèrent de lui fournir tout ce qu'ils avaient
à leur disposition.
Il n'en fut pas de même pour l'armée du Duc de Bouillon qui suivait de près celle du Maréchal Bois-Dauphin et qui maltraitait d'autant
plus les pays par où elle passait que les confédérés y avaient moins de partisans et que l'armée royale avait été reçue avec plus de
zèle et de transports. Tous ceci se passait à l'époque du mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche.
Après la reddition de la ville de Nancy le 24 septembre 1633, le Duc de Richelieu retournant à Paris avec l'armée et étant tombé
malade à Sézanne, y demeura 15 jours pendant lesquels cette armée fut dispersée aux alentours. Barbonne eut pour sa part une compagnie
de chevaux légers commandée par M. de Cluys qui n'eut qu'à louer des bons sentiments que la ville témoignait pour le Roi et pour tous
ceux qui étaient au service de sa majesté.
C'est cette fidélité de Barbonne à ses princes légitimes qui les attira en 1652 de la part des frondeurs et de leurs alliés, les affreux
malheurs dont il a été parlé plus haut au chapitre premier.
Néanmoins, cette ville avait oublié dans une circonstance, le principe de cette soumission dont elle avait toujours donné des preuves
et dont elle n'aurait pas dû s'affranchir. Le 29 décembre 1639, deux compagnies de chevaux légers y étant arrivées le soir par une pluie
battante pour y tenir garnison le reste des habitants refusèrent de leur ouvrir les portes, les invitant à se retirer dans les
faubourgs jusqu'à ce qu'on eut envoyé une députation à Mgr le duc d'Angoulême à qui appartenait Barbonne, Sézanne et Tréfols, pour qu'il
voulut bien exempter les habitants de cette charge ; on leur promettait néanmoins de leur fournir des vivres. Irrités de cette résistance,
M. de Cuignac, leur commandant fit aussitôt saisir tous les grains et les farines qui se trouvèrent dans les différents moulins, garder
toutes les portes pour empêcher qui ce soit d'y entrer ou d'en sortir ; ce qui dura jusqu'au 16 janvier où la faim obligea les habitants
de revenir à des sentiments plus pacifiques et d'ouvrir leurs portes aux assiégeants. La réponse du duc d'Angoulême étant avivée sur ces
entrefaites, Barbonne se vit déchargé du fardeau et de l'embarras de ces logements ; mais il lui en coûta une somme de 10 000 F tant pour
indemnité aux habitants des faubourgs, que pour les vivres qu'il fût obligé de fournir et l'amende à laquelle il fut condamné pour sa
rébellion.
Après le grand désastre de 1652, Barbonne étant beaucoup déchu de son importance, on ne trouve plus rien sur les mémoires qui puisse
mériter une attention particulière, à l'exception des incendies dont il a été fait mention plus haut. C'est que pendant le long et
glorieux règne de Louis XIV et de Louis XVI, la France entière jouissait des douceurs d'une paix profonde pendant que leurs armées
partaient au loin et faisaient respecter non seulement dans toute l'Europe entière mais dans toutes le contrées de l'univers le nom
français et moissonnaient les lauriers.
A l'époque de la Révolution, Barbonne qui avait jusqu'alors vu dans son sein, une nombreuse et brillante société qui était le point
de réunion de tout ce qu'il y avait d'hommes importants et bien élevés dans tous les environs, fut bientôt abandonné de tous ceux
qui ne voulaient devenir les victimes de quelques têtes montées à la hauteur des idées du jour. La terreur plana longtemps sur ce
malheureux pays, ce qui ne l'empêcha pas de voir partir en masse tout ce qui était ou paraissait en état de porter les armes. En une
seule fois, 99 jeunes quittèrent leur sol natal pour aller verser leur sang sur une terre étrangère et donner le moyen aux tyrans de
la France de faire rouler tranquillement des milliers de têtes sur les échafauds.
Enfin pendant les deux dernières invasions de 1814 de 1815, Barbonne fut encore une fois épuisé par le passage de troupes soit françaises,
soit étrangères et par les réquisitions qui furent imposées pour l'armée des alliés campés aux environs du Mont Aimé. Au commencement
du mois clé février 1814, après la bataille de Brienne, Napoléon quitta la route de Nogent, passe à Barbonne avec toute sa garde par
un temps affreux de dégel, pour se diriger sur Champaubert, où il mit en déroute l'armée ennemie, mais les français ne causèrent
aucun dégât à Barbonne, il n'en fut pas de même à la fin du mois de mars de la même année où un corps nombreux de troupes russes qui
avait passé l'Aube à Baudement, vint présenter la bataille au duc de ROaguse campé sur les hauteurs de Barbonne et Saudoy.
La bataille n'eut point lieu parce que le général français se retira sur Sézanne, mais Barbonne fut livré au pillage et les habitants
obligés de se sauver dans les bois pour avoir voulu faire quelque résistance, excités dit-on par M. Graspain desservant de la Paroisse
qui fut lui-même fort maltraité.
- Caractère et moeurs des habitants
Le plus ou le moins d'avantages matériels dont un pays se trouve naturellement pourvu ou que le travail exerce ordinairement une très
grande influence sur le caractère de ses habitants. Lorsque la vie est moins à charge que les ressources sont plus multipliées et plus
abondantes, on remarque sur le visage de l'homme une expression plus noble, plus vive et plus animée car alors il n'est point comme
affaissé sous le poids de cette misère profonde qui contribue tant à le dégrader et à l'abrutir, qui quelque fois le pousse à des bassesses
ou à des crimes, ou bien enfin, le jette dans de honteux excès, dans de tristes plaisirs où il cherche à oublier pendant quelques
instants ses chagrins et ses peines.
Si modéré dans ses désirs, simple dans ses goûts et dans ses moeurs, mais actif, intelligent et laborieux, il obtient de la terre
qu'il cultive, le juste dédommagement de ses fatigues : s'il vient à bout de se procurer cette modeste aisance qui seule peut et
doit faire l'objet de son ambition, on le verra toujours gai, toujours content, toujours heureux, même au sein de la médiocrité ; par
conséquent il sera toujours franc, ouvert, ami de la justice et de la probité, ami de la tranquillité et de l'ordre. Mais si avide
et insatiable, il ne sait point se borner, si agité et inquiet, il ne sait pas jouir des biens et des avantages de la providence lui
a départis et a comme mis sous sa main, il perd alors cet air de candeur qu'on aimerait tant à voir en lui et qu'on ne retrouve plus
guère aujourd'hui que sur des figures patriarcales qu'inspirent tout à la fois le respect et la confiance ; on le verra bientôt défiant
et jaloux, rusé et peu délicat, avide de procès et de chicanes, dur à lui-même et aux autres, quelque fois même haineux et vindicatif.
Et tel est le double jugement que l'on peut porter généralement sur les habitants de la campagne.
Quant à ceux de Barbonne, en particulier, comme ils ont a leur portée presque toutes les commodités de la vie, qu'ils peuvent se
mettre facilement à l'abri de la misère par les ressources continuelles qu'ils y trouvent pendant toute l'année, avec un peu de goût pour le
travail, comme ils ne sont d'ailleurs écrasés par aucune de ses charges nombreuses qui pèsent si lourdement sur la plus grande de nos
communes rurales.
On remarque tout d'abord en eux un certain air de satisfaction et de fierté, qui les porte à regarder leur pays comme un de ceux que
la nature a le plus favorisé et avec lequel bien peu méritent d'être comparés. Aussi y tiennent-ils fortement et rarement on voit de
ces émigrations qui vont chercher ailleurs la fortune et l'aisance. Et presque tous les mariages se contractent entre eux.
On peut faire aussi sur ce point une observation qui pourra peut-être paraître singulière, c'est qu'il est excessivement rare de voir
des mariages se former entre des personnes appartenant à la classe des vignerons et celles d'un autre état. Les premiers ne font presque
jamais société qu'entre eux et n'ont que très peu de rapport avec les cultivateurs.
Tous sans exception sont amateurs zélés, jaloux même à l'excès de leur pleine et entière liberté ; aussi supporteraient-ils avec peine
et une extrême répugnance toute espèce de contrainte et de joug qu'on tenterait de leur imposer. Mais malheureusement ce sentiment
dégénère souvent dans la jeunesse et jusque dans l'enfance en une véritable licence qui se roidit de bonne heure contre l'autorité
paternelle et n'a pour elle en général, comme aussi pour la vieillesse, que bien peu de respect et des égards qui ont été chez la plupart
des nations et qui devrait être partout si profondément gravés dans les coeurs.
Appliqués uniquement à leur travaux, les habitants de Barbonne s'occupent fort peu, on pourrait dire qu'ils ne s'occupent nullement
de tout ce qui se passe hors des limites de leur pays. Aussi sont-ils tranquilles et paisibles, étrangers à la politique qui souvent
bouleverse les têtes et fait trouver jusque dans la plus modeste et la plus humble chaumière des législateurs habiles et profonds,
faisant la leçon et donnant des conseils à ceux qui conduisent l'état. Le travail est tout pour eux ; c'est non seulement leur occupation
habituelle, c'est pour eux un besoin, un plaisir, c'est en quelque sorte leur unique sujet d'amusement, leur seule récréation. Ne
connaissant ni repos, ni relâche, les jours de dimanche et de fêtes aussi bien que les jours de la semaine, l'hiver comme l'été, ils
sont toujours les mêmes.
C'est sans doute cette vie continuellement isolée, toujours concentrée en eux même presqu'un peu sauvage qui les rend peu communicatifs,
peu sensibles aux charmes de l'amitié presque indifférents les uns aux autres. Aussi les sociétés y sont elles assez rares et peu nombreuses.
Cependant, il faut ajouter qu'un grand nombre d'entre eux sont plus civils, plus polis que dans la plupart des pays voisins. Ils sont
surtout zélés à se rendre mutuellement services en toutes circonstances.
Chez beaucoup d'entre-eux, la franchise n'est pas non plus une vertu dominante ; ils avouent eux-mêmes et disent hautement qu'ils sont
politiques.
Le travail trop continu auquel ils se livrent et qui consistent principalement dans la culture des vignes, les tient sans cesse penchés
vers la terre, sans doute aussi peu de modération de la jeunesse dans l'usage des plaisirs et enfin l'abus de leurs forces les usent
de bonne heure, surtout les hommes dont on voit un assez grand nombre, plus ou moins courbés dans un âge où ils pourraient compter
encore sur la vie, la santé et la vigueur. Aussi y voit-on un nombre très considérable de femmes veuves. On en compte 71 en ce moment
sur 417 ménages.
Peu éloigné de Paris, centre de tous les bouleversements et de toutes les révolutions, Barbonne comme tous les pays qui environnent
cette ville, a ressenti les déplorables effets de nos tourments politiques sous le rapport religieux. Mais si la foi chrétienne y a
perdu beaucoup de son influence salutaire, comme il faut à l'esprit humain une croyance quelconque, malheureusement il existe encore
plusieurs opinions, plusieurs pratiques superstisieuses plus ou moins absurdes, plus ou moins ridicules et fortement enracinées qu'on
aurait à peine excusées dans les temps de la plus stupide ignorance, et qui montreraient que l'instruction et la civilisation même n'y
ont pas fait encore de grands progrès.
Il serait à désirer que la religion chrétienne qui a civilisé le monde et adouci les moeurs, reprit son empire dans un pays qui est
exclusivement catholique et qui dans tous les temps connus n'a pas compté un seul dissident ; elle corrigerait bientôt ces tristes
et honteux de l'esprit, comme elle inspirerait aussi aux jeunes gens cet amour de l'ordre et cette sage modération qui les empêcheraient
de troubler trop souvent pendant la nuit, la paix et le repos de la société ; elle les dégoûterait, les corrigerait de cette licence
excessive qui malheureusement a quelquefois dégénéré en querelles, en disputes et en batailles, a divisé les familles et donné fort
à faire à l'autorité chargé de les réprimer.
Ces désordres exceptés, on rencontre parmi les habitants de Barbonne bien peu de ces excès honteux et vils qui abrutissent la raison
et néanmoins si communs dans beaucoup de localités. Contents de prendre le dimanche quelques courts instants de relache dans des jeux
assez simples, la plupart des hommes mariés fréquentent fort peu les cabarets qui ne comptent parmi eux qu'un bien petit nombre
d'attitrés. Pourquoi faut-il être obligé d'ajouter qu'on pourrait peut-être recommander à plusieurs femmes de ne point s'écarter des
règles de la sobriété et de la tempérance ; et de leur rappeler que ce qui est le dernier degré de la dégradation dans un homme n'a
point de nom chez la femme.
Tous étant intéréssés à l'excès, tous ayant besoin pour soutenir leur familles pourtant en général peu nombreuses, d'un travail assidu,
parce que le sol est d'une culture pénible, le genre de vie est simple et très frugal. La nourriture chez presque tous et la plus
grande partie du temps ne consiste que dans du pain de seigle, les haricots, les pommes de terre, quelquefois du porc et une boisson
fort peu agréable et très acre. Elle est composée avec des raisins qu'au moment de la vendange, ils font fermenter avec du vin, après
quoi ils retirent ce vin et remplissent continuellement avec de l'eau. Cette boisson ressemble pour l'accreté à la piquette dont se
servent les habitants de la Champagne dans les endroits où il n'y a point de vin.
Enfin on remarque à Barbonne bien peu de ce luxe effréné qui est aujourd'hui presque partout, à la ville comme à la campagne, pour
les conditions médiocres, une plaie funeste et mortelle qui porte à se priver souvent des choses les plus nécessaires à la vie qui
contraste si fort avec le langage plus qu'à demi-barbare, qui n'a d'autre effet que d'inspirer le dégoût, le mépris ou la risée ce
qui ne cache pas toujours assez soigneusement la misère sous le voile transparent de la vanité et d'une ridicule coquetterie.
Et si la modestie et la pudeur peuvent enfin briller de tous leurs éclats sur le front des jeunes personnes, si elles parviennent à
bannir de leur discours toute parole et peu décente, si elles peuvent venir à bout de se défier des sociétés funestes à l'innocence,
si enfin elles apprennent à ne se livrer qu'en plein et sous les yeux des personnes sages aux divertissements de leur âge, elles
dissiperont tous les soupçons qui ne manquent pas d'inspirer une conduite contraire ; elles gagneront beaucoup sous le rapport de
respect et des égards qu'elles méritent déjà par leur amour pour le travail, leurs familles n'en seront que plus en sûreté et toute
la suite de leur vie plus tranquille et heureuse.
- Education
Il y avait anciennement à Barbonne un hôpital de Saint-Jacques du Haut pas, dépendant de l'hôpital du même nom au diocèse de Lucques
en Toscane dont le grand maître était collateur. Cette maison avait été métamorphosée en un couvent de religieuses de l'ordre de
Saint Benoist, puis en 1727, elle avait été réunie au prieuré de Sainte Scholastique de Troyes mais en 1730 elle fut totalement
incendiée ainsi que la plus grande partie du pays.
Avant cette destruction, les religieuses qui étaient à la tête de l'établissement donnaient gratuitement l'instruction aux jeunes
filles pauvres de Barbonne et tenaient aussi des classes pour celles qui étaient en état de payer une rétribution. Depuis cette
époque si funeste au pays, il n'y eut plus qu'une seule école tenue par un instituteur laïc, autour duquel se réunissaient pêle-mêle
les enfants des deux sexes et de tous les âges ; on conçoit dès lors que l'instruction ne devait pas être fort avancée ni faire de
grand progrès. Cet état de choses dura jusqu'à l'année 1826 ou l'administration communale compris enfin qu'elle ne pouvait faire un
meilleur usage de ses revenus, qu'en favorisant l'instruction de jeunes enfants et en pourvoyant ainsi pour l'avenir à l'amélioration
morale du pays.
Il existe donc maintenant à Barbonne : une école de garçons qui a continué d'avoir à sa tête un instituteur laïc qui remplit en même
temps les fonctions de clerc paroissial, il reçoit annuellement de la commune un traitement fixe de 470 F et il lui est accordé
pendant 5 mois de chaque année un sous-maître avec un autre traitement de 150 F. Pendant l'hiver, l'école des garçons compte de 100
à 120 élèves depuis l'âge où on peut les admettre jusqu'à 12 ans, il est rare qu'il s'en trouve de plus âgés ; il y en a même peu de
cet âge. En été on ne voit guère qu'une soixantaine d'enfants et encore excessivement jeunes. Les classes et le logement du maître sont
depuis 1830 dans une partie de l'ancien presbytère.
Ce qui jusqu'ici avait nuit beaucoup à cette école était une autre qui existait dans l'ancienne petite école de Fayel. Comme le pays
n'a guère que 10 à 12 enfants, on recevait dans cette école dirigée depuis plusieurs années par un homme sans conduite, tout ce qu'il
y avait de mécontents à Barbonne, tout ce qui ne voulait pas recevoir l'instruction religieuse indiquée en tête de la loi du 18
juillet 1833. Mais cette école se trouve actuellement supprimée par la réunion de Fayel et de Barbonne.
Il existe deuxièmement une école de filles dirigée par trois institutrices religieuses de la Congrégation des Soeurs de la Providence
établie à Portieux, département des Vosges, elle a été instituée à Barbonne le 18 décembre 1826. Elle occupe un local situé à l'est de
l'école des garçons dont elle est séparée par un mur très élevée et une remise. La commune, outre le mobilier fournit aux dames
institutrices un traitement de 580F. Elles ont en hiver 120 à 130 élèves et en été environ 80 à 90. Il n'y a guère de différence pour
l'âge avec les garçons ; seulement les jeunes filles fréquentent les classes jusqu'à environ 13 ou 14 ans et pendant l'été, il y a un
peu plus d'élèves au-dessus du bas âge.
Dans chacune des écoles de garçons et de filles, outre le traitement fixe et annuel voté par le conseil municipal, chaque élève paie
une rétribution mensuelle de 50, 60 et 75 centimes, selon la division dont il fait partie et porte aussi chaque jour individuellement
le bois nécessaire pour chauffer les salles. Trente quatre enfants y reçoivent l'instruction gratuitement, 17 garçons et autant de filles,
mais il est à remarquer que ce sont ordinairement ceux qui montrent plus de négligence et moins d'assuidité. La commune en outre ne
souffre pas qu'on y admette des pensionnaires ; elle n'y tolère des externes étrangers à la commune qu'en été, lorsque les enfants
sont moins nombreux et en hiver lorsqu'ils viennent s'établir comme pensionnaires à Barbonne chez des personnes de leur famille.
Ces écoles parfaitement tenues par des personnes instruites, d'une conduite exemplaire et non seulement à l'abri de toute reproche,
mais digne des plus grands éloges, s'occupent activement de toutes les parties de l'instruction primaire, indiquées dans la loi précitée.
Et plusieurs fois messieurs les inspecteurs en ont rendu le compte le plus honorable.
Cependant, quoique Barbonne offre à toutes les familles-les plus grands avantages et de précieuses ressources pour ce qu'il y a de
plus important dans leurs intérêts et dans celui de la société entière, on peut dire sans exagération que l'instruction et à plus
forte l'éducation, y sont encore à peine dans leur enfance. Tous ne sont pas assez pénétrés de cette nécessité, n'ayant pu profiter
eux-mêmes de cet immense bienfait. Car avant 1826 que pouvaient faire plus de 200 élèves réunis chaque jour pendant quelques heures
autour d'un seul maître, aidé de sa femme ?
Beaucoup se mettent fort peu en peine de procurer à leur enfant un bien qui leur est tout à fait étranger. Aussi en voit-on encore
plusieurs qui ne fréquentent aucunement les classes et qui par conséquent restent et resteront toute leur vie dans un triste état
d'ignorance complète, inutiles ou peut-être même dangereux à la société à charge à eux-mêmes et plus encore à leurs familles.
Mais ce sont là des exceptions heureusement assez rares et ce n'est point la grande plaie qu'il s'agit de guérir. On peut d'abord
remarquer en passant que pourtant, il y a une différence très notable entre les enfants de Barbonne et ceux de plusieurs pays voisins.
C'est que dans ces localités, l'instruction n'est pas même ébauchée et qu'on se croirait encore au milieu de ces peuplades dont la
nature et l'instinct sont les seuls guides. On gémirait de rencontrer de ces visages mornes et inanimés sur lesquels on cherche en
vain un rayon de cette noble intelligence, image de la divinité. Si au contraire les enfants ne manquent pas de disposition et de
facilité et si ce terrain naturellement fertile pouvait être bien cultivé, si on ne rencontrait point à chaque instant mille obstacles
étrangers, il ne manquerait pas de produire des fruits en abondance.
Des écoles ouvertes chaque année pendant dix mois au moins appellent les enfants et invitent les parents à se décharger pendant ce
temps et jusqu'à l'âge ou suffisamment instruit, ils pourront leur être vraiment utiles, d'un soin que la plupart sont incapables,
que tous sont hors d'état de leur donner, à cause de leurs travaux continuels. Par une assiduité de quelques années, les enfants
feraient des progrès auxquels ils ne parviendraient jamais et n'assistant que trois ou quatre mois au plus même jusqu'à un âge
avancé à des leçons qu'ils oublient pendant leur longue inaction et que chaque hiver les maîtres sont obligés de reprendre.
Là, ils puiseraient d'abord cette première instruction qu'il est toujours honteux de ne point posséder, qui est aujourd'hui plus
nécessaire que jamais et qui doit avoir une si grande influence pour toute la suite de leur vie. Là, ils se formeraient de bonne
heure à une règle et à un ordre tout à la fois modéré et sévère dont ils porteraient ensuite le goût et l'habitude dans l'intérieur
de leur famille et qui sans doute épargneraient aux parents bien des peines et bien des tourments ; là, on leur inspirerait ce
respect pour les lois, cette subordination aux magistrats, cette soumission envers les auteurs de leurs jours, dont on ne retrouve
guère de trace parmi la jeunesse actuelle, là enfin, ils apprendraient à connaître les premiers principes de la religion sans
laquelle il n'y a point de morale possible, sans laquelle l'honneur lui-même cédera toujours devant l'intérêt particulier.
Ne restant pas ainsi 8 ou 9 mois entiers entièrement abandonnés à eux-mêmes, les enfants ne seraient pas sans doute aussi indifférents,
aussi endurcis aux avis et aux conseils, insensibles à l'honneur et à la honte, insouciants aux récompenses et aux punitions. Ils ne
se pervertiraient pas les uns les autres dans un âge encore tendre. L'ignorance la plus complète, un entêtement obstiné, fruit de
l'ignorance, une opiniâtreté invincible qui soit le manque d'éducation, un langage qui n'est ni français, ni étranger ne seraient
plus le partage des habitants de nos campagnes. Ils laisseraient de côtés leurs vieilles routines, ils connaîtraient peu à peu les
systèmes actuellement et exclusivement en usage. Ils ne se contenteraient plus de savoir former bien ou mal et comme il arrive
souvent, plus bien que mal, les 26 signes de notre alphabet ; ils seraient à même d'en former encore des mots français, ils ne
jetteraient plus dans le découragement et le désespoir des maîtres remplis de zèle et d'ardeur qui malgré leurs efforts ne pourront
jamais en quelques mots faire de leurs enfants des savants et des docteurs.
Les parents d'ailleurs en procurant à leurs jeunes enfants ces grands et ces précieux avantages ne se priveraient pas de leur part de
bien importants services, puisqu'avant l'âge de 12 ans ils ne sont guère en état de leur en rendre ? Or, à cet âge, ces enfants
pourraient déjà avoir acquis des connaissances suffisantes qu'ils n'auraient plus besoin que de cultiver un peu pendant les hivers
suivants.
Enfin, il est à remarquer qu'il est bien peu d'enfants, à moins que ce ne soient ceux qui appartiennent à quelques familles principales
qui sortent de ce pays pour aller recevoir dans des collèges ou dans des pensions, une éducation plus suivie comme il en est peu qui
suivent une autre carrière que celle de leurs parents.
- Territoire, production, climat
Le territoire de Barbonne entièrement composé d'assez hautes montagnes, de collines et de vallées peu profondes et coupé par plusieurs
routes, présente un tableau véritablement pittoresque. D'une forme tout à fait irrégulière, il a dans sa plus grande longueur de l'ouest
à l'est environ 7400 mètres, mais au sud avant la réunion de Fayel il finirait à 1200 mètres des murs du pays. Il est borné au nord
par les finages du Meix Saint-Epoing et de Saudoy; à l'est par ceux de Queudes et de Villeneuve, au sud par celui de Fontaine-Denis,
enfin à l'ouest par celui de cette dernière commune et par la Traconne.
La contenance totale de l'ancien territoire celui de Fayel non compris est de 2036 hectares carrés dont 989 hectares en terres labourables
parmi lesquelles 2 à 300 hectares en prairies artificielles, 627 hectares en bois de hautes futaie ; 230 hectares en vignes 93 hectares de
côtes communales en friches destinées au parcours du bétail ; 21 hectares en prés et 74 hectares en propriétés bâties, de jardins,
vergers, routes et promenades.
Celui de Fayel contient en total 299 hectares, 91 ares dont en plus de 13 hectares en vignes, près de 9 hectares en propriétés bâties
et jardins, le reste en terres labourables.
En prenant du nord au sud, le centre du territoire est presque généralement en vignes sur les collines et en terres labourables dans
les vallées. Le nord-ouest de cette partie est en bois plantés. Toute la partie orientable est en terres labourables à l'exception
d'une petite vallée d'environ 100 mètres de large qui forme une prairie jusqu'au finage de Queudes dont le marais font la continuation.
La partie occidentale située sur les montagnes est toute en bois de hautes futaies, faisant partie de la Traconne et appartenant soit
au gouvernement, soit enfin à divers particuliers.
C'est entre cette magnifique et importante masse de bois et les vignes qu'on voit ces immenses terrains incultes qui servent, il est
vrai de lieu de parcours pour le menu bétail et où se trouvent des carrières de pierre et de sable, exploitées par les habitants, mais
dont il semble qu'on pourrait planter en bois une bonne partie, surtout la belle plaine qui est auprès de la Cense-Beaujé et toute la
lisière qui est entre les bois communaux et le fossé d'alignement. Ce serait au bout d'un certain temps une augmentation de revenu pour
la commune, sans nuire au parcours et à l'extraction de pierres pour laquelle 50 à 60 hectares seraient suffisants.
Quant à la nature du sol, elle est variée. Dans ce qui fait partie de ce qu'on appelle Champagne, la terre végétale repose presque partout
sur un banc de craie, en approchant des côtes et sur les montagnes, le terrain est limoneux, sablonneux, grèveux, pierreux, glaiseux,
argileux ou mixte.
Un très grand désavantage pour ce pays d'ailleurs assez favorisé par la nature, c'est le manque total d'eau courante. L'exception
d'un faible ruisseau qui prend sa source dans la prairie à l'extrémité du territoire et qui entre clé suite sur celui de Queudes.
Barbonne ne possède que quelques petites fontaines à deux kilomètres du pays, sur le revers des grandes côtes de l'ouest et dont le
léger filet se perd à l'instant dans les sables.
L'administration communale a fait depuis quelques années d'assez grandes dépenses pour amener ces eaux au pays, mais soit à cause de
l'énorme banc de sable qu'on rencontre sur cette partie, soit peut-être plus encore à cause de l'incapacité des ingénieurs qui étaient
à la tête de l'entreprise, elle n'a obtenu aucun résultat satisfaisant, on est même venu à bout de tarir entièrement la petite source
qui existait à quelque distance de la Censé, et qu'on, nommait la fontaine St Jean. Malgré les puits dont chaque habitation est fournie,
c'est ce manque d'eau courante qui oblige de conserver par précaution contre les incendies soit dans l'intérieur du pays, soit dans les
restes des fossés qui l'environnent, soit enfin dans des réservoirs placés à proximité, ces mares si insalubres dont il n'est guère
possible d'approcher surtout pendant les grandes chaleurs.
Quoique dénuées de ce qui serait une si grande ressource pour les habitants et pour la fertilité du terroir, les terres bien cultivées
par un peuple excessivement laborieux produisent abondamment des grains de toutes espèces et de la meilleure qualité. Le blé, le seigle,
l'orge, l'avoine, les pommes de terre généralement très médiocres, les haricots, tous les genres de prés artificiels, quelques foins
de prairies, en bois de chauffage en grande quantité, dont une partie est dirigée sur Paris, de très beaux bois de charpente qui ont
la même destination, beaucoup de charbon et d'écorce pour les tanneries ; telles sont les principales productions du pays outre la
vigne qui occupe la plus grande partie des habitants.
Lors des opérations cadastrales en 1815, le territoire possédait, comme on a pu le remarquer plus haut 230 hectares des vignes dont
on a depuis ce temps défriché environ une trentaine d'hectares tant pour la formation de la route royale que pour les convertir en
terres labourables. Cependant, il y a encore assez pour donner du travail pendant presque toute l'année à tous ceux qui veulent
gagner leur vie par ce genre d'occupation.
Ces vignes aujourd'hui bien soignées et très productives pourraient donner dans une pleine année jusqu'à 20 et même 25 000 hectolitres
de vin ; mais comme ce sont des cas tout à fait extraordinaires on ne peut guère porter le produit, année moyenne qu'à 12 ou 15 000
hectolitres, dont près d'un tiers en un vin blanc qui est assez estimé surtout lorsque le temps a été favorable. C'est la trop grande
quantité de ce vin blanc pour lequel on emploie la meilleure nature ce raisin que l'on vend en grande partie presque immédiatement
après la récolte et pendant l'hiver, qui est une des principales causes pour lesquelles le vin rouge est d'une qualité médiocre.
Il est aussi à regretter pour l'honneur et la réputation des vins de Barbonne, que nos vignerons recherchant trop la quantité lui ayant
depuis longtemps déjà sacrifié la qualité qu'ils aient défriché en grande partie ce qu'il y avait d'excellent en nature de vignes pour
en substituer d'une nature très inférieure, mais qui fournit du fruit plus en abondance.
Cependant, malgré cela et les vins de Bourgogne qu'on exporte de tous côtés et sans doute aussi à cause du prix modéré des vins de
Barbonne et des environs, car ils ne se vendent guère plus de 20 à 25 francs, terme moyen, les 230 litres, il est rare qu'il en reste
beaucoup d'une année à l'autre. Ils se consomment dans la partie de la Brie de la Champagne qui environne le pays dans un rayon
d'environ trois myriamètres.
Ainsi, comme on vient de le voir , tout ce qui est le plus nécessaire aux différents besoins de la vie, excepté néanmoins le chanvre
qu'on y cultive point quoique le terrain ne lui soit pas contraire, Barbonne le possède abondamment et peut encore en faire part aux
pays voisins sans être obligé lui-même de recourir pour quoi que ce soit.
En outre comme il est abrité par les montagnes du côté de l'ouest, dans toute l'étendue de son territoire et au-delà, les orages sont
peu fréquents, parce qu'ils suivent la direction des bois pour se décharger dans les profondes vallées qui en sont assez éloignées.
Comme d'un autre côté les vents de l'ouest et du sud-ouest qui soufflent le plus souvent dans nos contrées, n'y arrivent que purifiés
par l'énorme masse de bois qui domine Barbonne à quelque distance, que c'est un pays élevé, bien exposé aux vents de l'est, que rien
n'empêche de parvenir jusqu'à lui, qu'il est éloigné de toute espèce de marais et de terrains fangeux, dont les miasmes sont si souvent
funestes et produisent beaucoup de maladies, on peut dire qu'il n'est guère possible de trouver un pays plus sain.
Aussi les fléaux contagieux y sont-ils rares et y exercent moins de ravages que dans beaucoup d'autres communes voisines. En 1832,
lorsque le terrible choléra sévissait avec fureur à Sézanne, Saudoy, Fontaine-Denis, Bethon, Barbonne sur sa population de près de
1400 habitants n'eut à déplorer la perte que de 18 de ses enfants. Et si en 1730, une épidémie moissonna 104 personnes cela ne peut
être attribué qu'à l'infection qu'à dû nécessairement produire l'incendie qui avait consumé 160 maisons avec toutes leurs dépendances.
<
- Industrie et commerce
Uniquement occupés de la culture des terres et des vignes ainsi que de l'exploitation des bois, les habitants de Barbonne ne s'appliquent
à aucune industrie particulière qui mérite d'être remarquée. Mais aussi sous le rapport de l'agriculture, il y a depuis une vingtaine
d'années une amélioration tellement notable, on y fait des progrès si rapides et si heureux qu'aujourd'hui le produit des terres est
au moins dix fois plus important qu'il n'était à cette époque et de ce que même on aurait jamais osé l'espérer, tant le sol paraissait
aride, ingrat et difficile à cultiver.
Ces précieux avantages sont dus en partie à l'incroyable activité des habitants, tous, hommes forts et robustes, mais qui ne savent pas
assez se ménager participant à l'introduction des prairies artificielles, inconnues auparavant et qui maintenant couvrent chaque année
au moins un quart du territoire labourable. On emploie pour ces prairies, les plâtres exclusivement.
Au lieu de quelques misérables rosses étiques et sans vigueur qu'il y avait alors on voit des grands et forts chevaux bien nourris et
capables de supporter les fatigues d'un pays presque partout très montueux, de belles vaches et d'assez nombreux troupeaux de même
bétail, mais d'une qualité toute ordinaire. C'est ce qui donne un engrais à peu près suffisant pour l'étendue du territoire.
Ainsi à l'exception des côtes communales, tout est actuellement en plein apport, les plus mauvaises terres, les terres sablonneuses
situées au bas ou au milieu des côtes du côté du nord-ouest, ont été plantées en bois qui ont bien réussi.
On compte à Barbonne une trentaine de cultivateurs importants, entre plusieurs autres qui se partagent entre la culture des terres et
celle des vignes.
Les vignerons au nombre de plus de 300 familles forment l'immense majorité du pays. Pour eux, ils ne s'occupent pas beaucoup de l'éducation
d'aucun bétail, seulement à chacun d'eux on peut appliquer en toute vérité ces trois vers de La Fontaine :
Un ânier son spectre à la main,
Menait en Empereur romain
Deux coursiers à longues oreilles
Comme il a été parlé du vin de Barbonne dans le chapitre précédent, il suffira de remarquer ici au sujet des vignerons, que ces hommes
infatigables, travailleurs, ne demeurent jamais un instant oisifs pendant le temps où la vigne leur laisse quelque liberté tour à tour
bûcherons, manouvriers, terrassiers, moissonneurs, on les voit en hiver manier la hache et la serpe dans les bois de la Traconne,
tantôt la pioche à la main ou la brouette devant eux s'occuper sur les routes et sur les côtes à l'exploitation des pierres à bâtir
ou destinées aux chemins, tantôt quittant le pays au nombre de 3 à 400 personnes, se disperser à quelque distance dans les villages
et dans les fermes de la Brie, au temps de la moisson pour la coupe des blés.
Sans être fortunés, on peut dire qu'à force de travail, ils savent éviter l'indigence et s'il y a quelques familles qui fassent
exception à cette règle générale, ce n'est guère que la paresse, l'inconduite et le défaut d'intelligence qui les réduisent à cet
état aussi ne s'avisent-elles point de chercher par la mendicité des secours dans le pays, elles vont cacher ailleurs leurs vices et
leur honte. Il est évident qu'il ne s'agit point ici des personnes âgées ou infirmes, ni de jeunes enfants pauvres, ceux-ci trouvent
des ressources soit dans les fonds de la commune ou au bureau de bienfaisance, soit dans la charité des particuliers.
Outre les deux genres d'industrie qui viennent d'être indiquées, il y a à Barbonne des personnes exerçant tous les états nécessaires
aux divers besoins d'un pays. On y voit des boutiques d'épicerie et de rouennerie, des boulangers, des bouchers, des maçons et des
charpentiers, des charrons et des maréchaux, des menuisiers et des serruriers, des cordonniers et des tailleurs, il y a même un
horloger.
Enfin, sous le rapport des sciences, Barbonne, possède en ce moment deux médecins ayant le grade d'officiers de santé et une sage-femme.
En fait, Barbonne a eu jusqu'à six moulins à farine, mus par le vent, le premier près de l'endroit de la maison bourgeoise qui conserve
encore le nom de moulin, au nord et à 300 mètres de la porte St-Jean, deux à l'ouest dans la contrée nommée les Carabins ; deux autres
au sud-ouest à plus d'un kilomètre de la porte St Jacques, sur une petite hauteur appelée les Moulinots ; enfin un sixième à l'extrémité
du Faubourg St Antoine et près de Fayel sur l'emplacement qui porte le nom de Moulin de la tour. Aujourd'hui, il n'en reste pas un
seul et les habitants sont obligés d'avoir recours à ceux des environs.
Il y existait aussi deux tuileries, l'une à la Cense Beaujé, l'autre au-dessus au nord-ouest du hameau de Lancourt, dans la contrée
désignée encore sous le nom de Tuilerie ; elles ont entièrement disparu et il n'y en a plus qu'une nouvelle établie il y a trois ans,
en 1841, sur la route du chef-lieu du hameau. Les seules usines qui subsistent en ce moment sont les pressoirs à vin au nombre de
neuf, dont cinq grands et quatre petits appelés étiquets. Plusieurs habitants font aussi avec le marc de raisin une eau de vie de
fort médiocre qualité.
Dans la partie du terroir qu'occupent les bois communaux on rencontre des monceaux énormes de mâchefer, comme aussi près de côtes,
des terres minérales parmi lesquelles d'assez gros morceaux de fer à l'état de nature. Sans doute que le défaut d'eau ne permet pas
de croire, malgré la tradition qu'il y ait jamais eu de forge dans le pays du moins, ainsi que le fait remarquer un ancien maître de
forge qui est allé visiter les lieux ; il parait certain qu'il y ait eu des mines de fer exploitées autrefois, on aurait creusé alors
ces vastes trous qui existent encore en partie dans cette contrée pour séparer à l'aide du feu qu'on y allumai le minerai d'avec la
terre et composer ce qu'on nomme La Gueule que l'on transportait ensuite à des forges plus ou moins éloignées. Il n'a pas été
possible de trouver des renseignements positifs à ce sujet. On peut ajouter seulement que ces amas de scories n'existent pas sur le
territoire de Barbonne seulement, mais sur toutes les montagnes voisines jusqu'à Sézanne et Broyes.
Il y a quelques années un voyageur se disant à la tête d'un établissement de Forges, affirmait qu'il y avait eu de ces usines à
Barbonne. Il soutenait même que ce pays devait son nom à des mines anciennes, ce nom était composé de deux mots : bar, dérivé du
vieux latin Vara, morceau ou barre de fer et de borie. Si cette étymologie ne paraît pas à tout le monde avoir le mérite de la
vraisemblance, personne ne disconviendra du moins qu'elle n'ait celui d'originalité.
Par ordonnance du Roi Henri III, en date du 13 janvier 1587, il avait été établi à Barbonne une foire annuelle et par semaine un
marché qui devait se tenir le mardi. Mais le premier marché fut retardé jusqu'au 16 avril 1634 et la première foire n'eut lieu que
le jour de la fête de St Pierre, le 29 juin de la même année. L'année suivante, le 9 mai, on posa la première pierre d'une halle
qu'on établissait sur la place qui est au midi de l'église, mais elle ne subsista pas longtemps ayant été détruite par un incendie
qui ne causa pas d'autre dégâts. Le marché cessa d'avoir lieu à l'époque où commença la révolution et déjà 10 ans auparavant la foire
avait été transférée à Anglure.
Néanmoins, il se tient encore tous les dimanches et les jeudis matins, une espèce de petit marché où on apporte guère que les productions
des jardins et des basses-cours des villages voisins qui disparaissent en quelques heures pour la consommation du pays.
Tout le commerce de cette importante commune consiste donc uniquement dans la vente de ses vins, de ses bois, des pierres à bâtir que
l'on extrait sur les côtes et pour lesquelles tous ceux qui sont étrangers au pays paient, outre le prix d'achat, un droit de 30
centimes par mètre cube à la caisse communale ; enfin dans la vente de ses grains de toute espèce qui sont d'excellente qualité et
très recherchés.
- Propriétés communales
Les propriétés appartenant à la commune sont :
- L'emplacement des anciennes fortifications de Barbonne d'une contenance d'environ huit à dix hectares. D'après ce qui a été
dit au chapitre premier, on se rappelle que se sont maintenant des jolies promenades sur lesquelles s'élèvent presque partout
des plantations en ormes que l'administrateur dit avoir l'intention de terminer bientôt, en remplissant les restes des fossés et
en transportant un peu plus loin les égouts,
- Le cimetière d'une contenance de 28 ares 14 centiares. Il est situé à l'extrémité nord-ouest, néanmoins dans l'enceinte des
murs et près de l'église, dont il n'est séparé que par une rue, il est totalement clos de murs en pierre de 2m50 de haut. Il ne
possède aucun monument excepté la croix principale qui est en fer et d'assez bon goût à l'intérieur ; il est bordé tout autour
d'une rangée de très grands ormes qu'on doit incessamment dit-on remplacer par une ceinture de sapins, ce qui lui donnera un
aspect plus imposant de tristesse.
- Une belle et grande maison sur la route royale et au nord de l'église dont elle n'est séparée que par une autre vieille
maison qui en faisait autrefois partie. C'est l'ancien presbytère construit dans la seconde partie du XVIIIème siècle par
monsieur Lallement, curé de Barbonne. Vendu par le gouvernement révolutionnaire, il fût racheté par la commune pour servir
de mairie. Lors du rétablissement du culte catholique, une partie avait été destinée pour servir d'habitation au desservant,
tandis que l'autre conserverait sa destination. Ce mélange si disparate ayant occasionné de grands démélés entre les deux
derniers Prêtres qui se succédèrent jusqu'en 1830, et l'administration communale, celle-ci pour faire cesser cet état de
guerre continuelle obtint de l'autorité départementale l'autorisation de se procurer un autre presbytère. Depuis, ce temps,
ce qui servait au logement du prêtre desservant fut affecté à l'habitation de l'instituteur communal et aux salles de classe
pour les jeunes garçons. Tel est, l'été, au midi de la maison un magnifique jardin tout en fleurs qui fait l'agrément de
l'instituteur pendant les cours instants que les classes le laisse en liberté.
- A l'est de la précédente, est une autre maison ancienne dépendance aussi du presbytère et servant depuis la même époque
d'habitation aux dames institutrices et de celle des classes pour les jeunes filles. Elle était précédemment affectée à
l'autre école. 11 est inconcevable que cette maison ayant une porte cochère pour entrer et n'ayant pour arriver à la rue
qu'une ruelle étroite de trois mètres de largeur, la commune laisse le propriétaire voisin encombrer moitié de la largeur de
cette entrée par des fumiers qui la rende horriblement sale et quelquefois impraticable aux enfants, qui donnent aux classes
une odeur insupportable et dont les égouts se déversent dans la cour des dames institutrices en font un marais fangeux et
dégoûtant.
- Une autre maison située à l'extrémité nord du pays sur la route royale et achetée en 1830 pour tenir lieu de presbytère. Elle
est grande, commodément distribuée, bien fermée, pourvue d'une cours pavée en rocailles, d'un petit jardin et d'un verger placé
de l'autre côté de la route, mais outre qu'elle est fort mal bâtie, que les chambres sont beaucoup trop basses, elle a encore
deux grands inconvénients, c'est de n'être ni au centre de la paroisse, ni à proximité de l'église et ensuite d'être chaque
année pendant les chaleurs, exposée aux exhalations malsaines des fossés où viennent se décharger tous les égouts d'une grande
partie du pays.
- Une très belle grange et une écurie qui faisait partie du presbytère actuel, mais dont la commune s'est réservée la jouissance
et dont elle tire un revenu annuel d'une soixantaine de francs.
- Une remise pour les deux pompes à incendie laquelle est adossée à l'église et à l'extrémité sud-est de cet édifice. Si cet emplacement
est commode pour pouvoir faire aisément entrer et sortir la pompe on peut et on doit dire qu'il a été on ne peut plus mal
choisi à raison du dommage qu'il cause et que l'on savait bien qu'il causerait à cette magnifique église, dont il bouche
moitié d'une des plus larges fenêtres ogivales. C'est de 1827 que date cette horrible et absurde construction élevée malgré
les justes réclamations du conseil de fabrique.
- Plus de 95 hectares de côtes communales qui ne sont d'aucun produit, si ce n'est comme on l'a remarquer plus haut qu'elles
servent de parcours pour le bétail et qu'on en tire des pierres à bâtir, dont le produit pour la commune sert à peine à
couvrir ce qu'elle paie pour les contributions de ce terrain. L'administration dit avoir l'intention d'en faire planter une
partie en bois, qui feront la suite de ceux qu'elle possède déjà au-dessus de ces terrains incultes.
- Mais ce qui fait un immense avantage pour cette commune et ce qui est une très grande ressource pour ces habitants ce sont
les 322 hectares de bois de haute futaie qu'elle possède et qui lui procure des revenus assez abondant pour la mettre au-dessus
de l'immense majorité des communes rurales, et même de beaucoup de villes, la mettent à même de faire tout d'une manière grande
noble et généreuse.
Avec ces secours chaque habitant peut d'abord recevoir gratuitement en nature de bois une partie de ce qui est nécessaire pour son
chauffage et compter annuellement sur deux à trois stères et une soixantaine de fagots. Personne en outre n'est surchargé de cette
augmentation d'impôt appelée centimes additionnels et prestations en nature sous lesquels on a fait revivre les corvées pour
l'entretien des rues des chemins et des routes. A l'aide de ses ressources elle paie d'une manière large toutes les personnes qui la
servent ou qu'elle emploie ; elle veille à l'entretien de ses bâtiments à la décoration de son église, elle peut entreprendre et
exécuter des travaux d'utilité ou d'embellissement que presque partout ailleurs on ne peut faire sans écraser les particuliers enfin
elle peut mettre encore en réserve des fonds pour les besoins imprévus ou les nécessités publiques.
L'origine du droit de propriété de la communauté de Barbonne sur ses bois n'est pas connue d'une manière certaine et il ne reste
aucun titre d'acquisition, ni de donation. Seulement c'est une tradition très ancienne parmi les habitants qu'ils furent donnée par
un Thibault, comte de Champagne, et en même temps roi de Navarre. Mais comme il y eu plusieurs de ce nom qui portèrent de double
titre on ne sait si Barbonne est redevable de cette magnifique donation à Thibault IV dit le posthume, qui se fit chef d'une croisade
en 1234 et mourut en 1248 ou ce Thibault V, son fils qui épousa Élisabeth, fille du roi Saint Louis accompagna ce prince dans sa
dernière croisade en Afrique et mourut en Sicile en 1270 au retour de cette malheureuse expédition.
Cette tradition ne paraît pas avoir rien d'invraisemblable car on a déjà vu que le premier de ces Thibault avait dégrevé Barbonne
d'une partie de ses charges et que c'est du temps du second sous le roi Louis IX qu'eut lieu son affranchissement.
Quoiqu'il en soit de cette opinion, toujours est-il certain que la communauté de Barbonne jouissait paisiblement de ses bois lorsqu'en
1521 chacun des propriétaires voisins usurpant chaque jour sur les terrains lui appartenant, une demande en limitation de bornage fut
faite par ladite communauté au Prévôt de Chantemerle qui fit droit à leur requête, afin est-il, sur le procès verbal de bornage, de
les empêcher d'entrer à grande évolution de procès, ou il leur conviendrait de frayer, faire et impenser plusieurs grandes sommes de
deniers, d'avoir grandes noises, débats et questions.
En 1536, les gens du Roi de Sézanne contestèrent à Barbonne la jouissance de ses bois et de ses usages. A défaut de titres pour terminer
le litige, le Roi François Ier ordonna une enquête juridique. Dix témoins furent mandés des différents villages voisins, de La Celle,
de Chantemerle, de Bethon, de Fontaine-Denis entre autre, un vieillard de 90 ans de ce dernier pays, lesquels décidèrent unanimement
par serment que de temps immémoriaux, ils avaient vu eux même et savaient de leurs ancêtres que toujours on avait vu les habitants de
Barbonne jouir de leurs bois et usages, dont ils estimaient la contenance à 16 ou 17000 arpents ; qu'ils savaient en outre qu'en
reconnaissance du domaine du roi et pour toute condition, ils payaient trois derniers tournois par ménage. Ensuite de cette enquête
survint un arrêté qui mit fin aux chicanes, maintint les habitants dans la possession de leurs droits, aux mêmes conditions que par
le passé, et défendit de les troubler en aucune façon dans l'usage de leurs bois, qui est reconnu juste et légitime. Cet arrêté,
avec l'enquête qui l'a précédé et le procès verbal de bornage dont il a été fait mention plus haut, sont les seuls titres anciens qui
restent à la commune touchant ses bois.
En 1686, il y a eu plus de 60 arpents d'usurpés par un seigneur de Fontaine-Denis, nommé monsieur de Nétancourt, lequel corrompit par
l'argent, par promesses et par menaces, plusieurs notables habitants, entre autres un certain François Champenois, substitut du
procureur du Roi, gagna contre la communauté de Barbonne un procès qui lui assura la propriété des dits bois et obligea même cette
communauté d'en vendre encore une autre partie afin de payer les frais qu'avaient occasionnés ce procès.
En 1746, plus de 40 arpents furent encore aliénés pour rembourser monsieur le Marquis de Galifet, d'une somme considérable qu'il avait
prêtée à ladite communauté afin de payer les frais d'un autre procès qu'elle avait perdu contre une certaine famille Bourquin.
Enfin, en 1759 et en 1764, il y eu de nouveau plusieurs parties de cette belle propriété qu'on fut obligé de vendre soit pour dégager
plusieurs habitants fortement compromis à la suite de procès avec la famille Bourquin, soit pour payer des tailles arriérées. Ce sont
ces diverses aliénations et ces usurpations qui l'on enfin réduite à sa contenance qui n'est guère plus qu'à moitié de ce qu'elle avait
été dans le principe et pendant un si long temps.
Cependant malgré cette grande diminution, Barbonne jouit encore d'un assez important revenu pour être sous ce rapport placé au dessus
de beaucoup de localité plus considérable même par le nombre de leur habitant. L'évaluation de son revenu peut en effet être porté à
18 000 F donc 6 000 environ sont distribués chaque année en nature de bois aux différents ménages. Le reste rempli les recettes du budget
communal.
Les bois forment deux grandes divisions, la plus faible composée du quart de la contenance totale ne se coupe que tous les 40 ans au
moins, ou plus tard encore si la commune n'a point de dépenses extraordinaires, auxquelles elle ne puisse suffire avec ses ressources
habituelles, il y a en ce moment de la réserve sur pied qui a près de 60 ans, mais ceci paraît renfermer de grands abus parce que le
bois dépérit après un si long temps ; le produit de la vente porterait intérêt et le jeune bois gagnerait plusieurs feuilles. L'autre
partie est divisée en coupes réglées, chacune de 20 ans. Le taillis est pour les habitants, la vente des arbres de hautes futaies
compose la recette ordinaire de la commune.
Le budget en 1843 présente en recettes ordinaires de : 10 942,50 F et en dépenses également ordinaires celle de 11 225 F dans laquelle
figure 1 800 F pour contribution foncière. Ce budget varie peu chaque année. Si la dépense paraît fort élevée, c'est que, comme il a
été dit, cette commune ne mettant rien à la charge des particuliers elle a un grand nombre d'employés auxquels elle alloue d'assez
forts traitements.
- Antiquités et monuments
Depuis 3 siècles, Barbonne a éprouvé tant de désastres qu'il semble que tous les fléaux se soient entendus et comme donnés la main
pour y exercer successivement les plus terribles ravages. Les guerres et les révolutions ont renversé ses murailles, détruit 3 de
ses églises, réduit en cendres tous ses faubourgs ; ensuite des incendies multipliés ont consumé la plus grande partie des habitations
qu'il renferme dans son enceinte. Il n'est donc pas étonnant qu'à l'exception de son église on y trouve plus rien à présent qui puisse
fixer l'attention.
On a déjà pu remarquer que de ses vieilles fortifications, il ne reste plus debout qu'une seule tour et quelques pans de murs, que
l'ancienne commanderie n'est plus qu'une ferme et sa chapelle une prairie ; que l'hôpital dit de St Jacques du Haut-pas et sa magnifique
Chapelle dédié à St Jacques le Majeur, ont été entièrement ruinés dans le vaste incendie de 1730 et que ce n'est plus aujourd'hui
qu'un vaste jardin et un réservoir en cas de nouveaux malheurs.
Malgré ce manque total de monument antique il ne serait pas inutile sans doute de faire mention ici de la découverte qui a eu lieu,
il y a quelques années, pendant qu'on travaillait à la formation de la route royale. Ce sont, ont dit des témoins oculaires, des amas
d'ossements et de vieilles armes et même un collier, mais le tout presque entièrement détruit, ces objets se trouvaient placés entre
deux pierres brutes énormes, surmontées d'une plus grosse, encore et enfoncées en terre assez profondément. Il est à regretter qu'on
ait brisé ces pierres et jeté comme des morceaux de nulle valeur, ces fers que l'on a cru être des armes. On aurait pu juger peut-être
si c'étaient là de véritables tombeaux et ses armes réelles, ou bien au contraire des instruments destinés aux anciens sacrifices du
sanguinaire paganisme, et ces monuments des dolmens semblables à celui dont il va être parlé, quoiqu'il ne soit point sur le territoire
de Barbonne, mais à quelque distance sur celui du petit village de Nuisy, entre cette commune et celle de Saint-Quentin.
Ce monument grossier qui n'est pas le seul dans ces contrées puisqu'il en existe deux autres absolument semblables aux environs du
village de Potangis, et formé de quatre monstrueuses pierres brutes, dont trois servent de support à la quatrième qui les recouvre,
ainsi qu'un espace vide d'un peu plus d'un mètre, qui se trouve au dessous ; celle de l'ouest est droite ainsi que celles qui sont à
l'est, mais à côté de cette dernière et en dehors du monument il y en a une autre qui est inclinée de 50 centimètres vers l'est, sans
doute pour donner à la masse plus de force et de solidité. Le monument entier peut avoir au moins trois mètres de longueur sur une
largeur presque égale du côté du midi, mais au nord la pierre qui recouvre les autres se termine en pointe un peu arrondie ; elle
est fortement inclinée vers le nord de sorte que la hauteur qui de ce côté n'est guère que de 60 centimètres et au moins d'1,5 m du
côté opposé, la pierre du dessus non comprise.
Cette pierre ou cette table qui est percée d'outre en outre vers le milieu a aussi des espèces de rigoles mais il est difficile de
voir si elles sont l'ouvrage des hommes ou des défauts de la pierre. Les gens du pays et des environs surtout de St Quentin appelle
cette masse la pierre de Ste Geneviève et prétendent que c'était un abri que cette bergère s'était créée pour se garantir des injures
de l'air en gardant ses troupeaux. Chaque année, le jour de sa fête, le 3 janvier, de très grand matin, quelque temps qu'il fasse un
très grand nombre de femmes des environs s'y rendent en pèlerinage et leur grande dévotion consiste à passer l'une derrière l'autre
en rampant sous ce monceau de roches ... Telle est la religion de ce pauvre peuple.
A Potangis au contraire on nomme ces monuments la pierre du diable et on y a pas grande confiance, il y a trois ans on a détruit un
de ces dolmens et l'autre dit-on, est en ce moment-ci en état de démolition ... Sont-ce là des monuments funéraires, comme plusieurs
auteurs le supposent, ou bien comme d'autres le croient des autels druidiques sur lesquels selon César, on sacrifiait des victimes
humaines aux cruelles divinités gauloises, comme il n'y a pas longtemps encore on en égorgeait par milliers dans notre France civilisée.
C'est une question que pouvaient débattre les personnes versées dans la connaissance des monuments antiques. Ce qu'il y a d'incontestable
c'est que ces pays étaient autrefois couverts de vastes forêts plus étendues que celles qui subsistent de nos jours.
Enfin, à l'extrémité occidentale du territoire de Barbonne au milieu de la belle forêt de la Traconne au centre de la place circulaire
de 150 m de diamètre nommée l'Etoile ou la Belle étoile, et sur laquelle huit routes viennent aboutir s'élève majestueusement une
grande colonne en pierre de taille d'ordre Toseau et d'au moins douze mètres de hauteur. Elle est surmontée d'une croix en fer à
plusieurs branches tellement disposées que de quelque côté qu'on y arrive on aperçoit une croix. Et comme les routes sont en ligne
directe, cette colonne se voit de fort loin lorsqu'une fois on a pénétré dans la forêt. Elle était autrefois ornée des armes de
Louis XIV qu'on a eu grand soin de briser en 1792.
La croix que l'on avait renversé à la même époque y a été replacée depuis.
- Personnages remarquables
Quoique Barbonne ait eu beaucoup plus d'importance qu'elle n'en a de nos jours, quoiqu'il est pu y avoir partout ailleurs des personnes
qui se sont élevées au-dessus de leur condition par leurs talents et leur mérite, le défaut de mémoire détaillé nous laisse encore ici
dans un grande disette. Il est vrai que si dans tous les temps, les habitants ont été ce qu'ils sont actuellement, il n'est guère
possible que le pays ait jamais produit des hommes dont le nom mérite de passer à la postérité. Ainsi que nous l'avons remarqué précédemment
les enfants ne reçoivent d'autre instruction que celle qu'ils puisent dans leur école primaire et n'embrassent presque jamais d'autre
carrière que celle de leurs parents.
L'art militaire si glorieux et si utile à la patrie et qui fait battre un noble coeur leur sourit bien peu, il leur tarde d'avoir payé
à l'état le tribut strictement exigé, pour rentrer bien vite dans leur première condition. Malgré les longues guerres de la République
et de l'Empire et les nombreux enfants du pays qui y aient pris part, Barbonne ne compte en ce moment que deux personnes qui voient
briller sur leur poitrine la récompense des braves et qui aient obtenus dans les armées, outre ceux qui sont morts sur les champs de
batailles et un autre qui parcours actuellement une brillante carrière.
Monsieur Lesage rapporte dans sa géographie de la Marne que c'est près de Barbonne que naquit au commencement du 17ème siècle Saint
Victor, nommé aussi St Vitré ou St Vitre, prêtre et anachorète que St Bernard a célébré dans plusieurs homélies. Il ne reste néanmoins
dans le pays ni monument ni tradition qui indique que Barbonne ait été la patrie de ce Saint, si ce n'est qu'il existe un petit village
qui porte le nom de Villeneuve saint Vistre. Mais on lit dans la vie des saints de Godescard, au 26 février, que ce saint prêtre sortait
d'une famille considérable du diocèse de Troyes en Champagne, ce qui ne contredirait en rien monsieur Lesage, puisque jusqu'au moment
de la révolution Barbonne avait toujours fait partie du diocèse.
Seulement on ajoute qu'il mourut en 640 à Saturniac appelé aujourd'hui St Vitre près d'Arcis-sur-Aube. Nous aurions désiré connaître
les monuments où monsieur Lesage a puisé cette opinion ; nous aurions eu sans doute quelques renseignements sur les commencements de
Barbonne qui nous sont entièrement inconnus.
Barbonne a donné naissance à Jean Bisset qui de chanoine et chantre de St Etienne à Troyes, devint notaire du Roi et conseiller de la
comtesse de Flandres et d'Artois. Il mourut entre les années 1370 et 1378 et fut inhumé dans la Chapelle de St Martin de ladite église
de St Etienne qu'il avait fait bâtir et où l'on voyait encore son épitaphe en 1784.
C'est encore à Barbonne que naquit une certaine illuminée, nommée Soeur Demeuvres qui vers la fin du XVIlème siècle prétendit être
envoyée de Dieu pour annoncer la vérité aux hommes. Voyant que le peuple n'avait pas en elle toute la confiance qu'elle croyait mériter
elle écrivit lettres sur lettres à monsieur de Chavigny Evêque de Troyes, et à monsieur Bouthillier, ancien Evêque de cette ville
afin qu'ils la fissent reconnaître comme telle aux yeux des fidèles. Elle les assura même que l'incendie de la cathédrale arrivé en
1700 était une punition de leur désobéissance à sa parole, et qu'au moment où la foudre tomba sur cet édifice, elle était devant le
trône de l'éternel, occupée à le supplier d'apaiser son courroux. Loin de consentir à ses désirs on la mit en jugement et on reconnu
que c'était une enthousiaste détraquée qui ne cherchait qu'à tromper et à faire des dupes. Elle fut enfermée pour le reste de ses jours
par ordre de l'officialité de l'église de St Urbain de Troyes.
Dans le temps où nous sommes, on voit encore une femme du même calibre qui passe tous les jours cinq heures dans l'église à faire des
stations à tous les autels, s'imagine délivrer les âmes du purgatoire à l'aide d'un Christ, d'un morceau de pain béni et d'une petite
bouteille d'eau.